Accueil > Culture > Il était une fois à Sedrata (III): de Terra nullius aux Sellaouas … par Larbi Zouaimia
Sedrata la plaine et le cadre montagneux. Photo Ali Bouadis 10-12-2017

Il était une fois à Sedrata (III): de Terra nullius aux Sellaouas … par Larbi Zouaimia

(Suite) Encore le CEG, bastion des instituteurs … Mon père y passa comme moi, bien avant, en écolier de 1937 à 1943, avant que les soldats américains ne le transformèrent en dortoir et établirent leur campement militaire du 319e groupe des bombardiers un peu plus au sud, chez la tribu de Ouled El Ouettar à laquelle appartient l’écrivain Tahar Ouettar.

 

 

 

Là, c’est Triq Al Marikane (la route de l’Amérique), une bifurcation asphaltée partant de Daguensouf au sud de la ville, laquelle devint pour des années, un label pour certains. Pour d’autres, c’est l’escapade festive de « tassmaa OK OK camane Bye Bye ».

Le CEG se forge aussi dans ses collégiens vétérans, dans le tatouage des pierres lancées sur son portail par un ancien ingénieur Mahiou Medkour moulé dans langage de Tiglaline, Hydraulicien et monologuiste qui fait partie de ces cadres qui auraient pu donner à l’Algérie.

Un peu plus âgé que lui, Azzag Louar, ancien étudiant en Pologne quand le loup flânait en ville, le « difficile » un urbaniste pluridisciplinaire que le régime clientéliste, n’a guère donné de chance.

C’était déjà suffisant pour disjoindre, la mode fut celle de doulat-Hlima, de la manivelle qui consistait à pousser les lettrées vers la grotte et ramener les ankylosés à la tribune.

Khemissi Abderrahmane, Ouameur Dahmane, Benzerara Lazhar, Larbi Merabti… florilège d’une permanence intellectuelle qui tient toujours garnison quand on y va là-bas, s’occupant de ce qui reste, dans une cité en sacrilège, qui crie et sur son dos, le tatouage des années sarcastiques. 

En somme, Sedrata dans une insolite d’aventures, en désuétude amazigh qui pince le cœur, une contrée, jadis, auréolée par des terminaisons en « ine » comme le Jolie nom de Tizi Iyafine.

Drôle d’aventure, oui et encore ! Dans une terre qui fut, avant la venue des Français, gérée collectivement par la Djemaa, mais exploitée individuellement. Une terre qui n’est autre que la toponymie ou nomadisait, naguère, des confédérations en conflit.

 


Timgad. Juillet 1963. Le Colonel Abid Said et Che Guevara

 

D’une part les Haractas (nomades) et les Sellaouas-Kherarba(sédentaires) ayant croisé la zarouatta (le bâton) dans le dernier reclus de Oued Y(h)aminine. Deux peuplades berbères, qui sustentaient leur malentendu depuis la défaite de la reine Dihia (Kahina). Les premiers, tatouage sur le front, ont été les derniers à s’islamiser.

La France y a joué encore entre Kherarba eux-mêmes. Beni Oujana, une fraction n’étant pas la bienvenue par arch Sedrata, lorsqu’elle arriva après 1750, après une minuterie dans les Aurès, a fini par s’imposer démographiquement.

En instructif, la commune mixte de Sédrata est exactement située au revers méridional des Monts de Guelma, dont les crêtes principales en constituent la limite vers le nord (texte repris). Avec une superficie de 158 962 hecatres, elle a été créée par arrêté gubernatorial du 11 décembre 1880.

 

 

Si Said Azouaou le père, sans conteste, du mouvement National de la région, à Sedrata, le Drapeau Algérien est sorti de chez lui, confectionné par sa famille, selon les normes du PPA

Mais l’irruption coloniale de 1890, après la saturation du Tell, avec la création d’un périmètre agricole de 3600 hectares dans la plaine au profit des Colons de Guellat Bousabaa et Heliopolis, et ce par une spoliation sauvage, a eu des conséquences fâcheuses.

Arch Sedrata agrégats de notables blonds Rostomides venus au moyen âge, dont le lieu a pris le nom, aurait perdu 2100 hectares dans la plaine en 1890, mais a reçu, en compensation, 2400 ha dans la zone méridionale de Oued El Krab dont les 360 hectares de Arch Bouafia lequel n’avait rien reçu.

Beni Oujana, quant à eux, perdirent 1514 ha en plaine pour se voir attribuer 960 ha en terrain accidenté, mais se trouvèrent en conflit avec une fraction mixée de Sedrata, dénommée Beni Melkem.

Pour les pousser au-delà de la montagne de la Meïda, les Français épandirent le versant du cadre montagneux par des familles déportées de la cote Jijelienne et d’El Oued el kebir (Milia). Des familles Caidales de Sétif se sont vues, honorifiquement, léguer des terres….aussi.

 


Roth Roger vice-président, Gouvernement Fares Abdrahmane. Né en octobre 1912 à Sedrata. Mort en octobre 2011 à Paris

 

Comme la plupart des régions d’Algérie, les tribus étaient tellement inspirées en matière de querelles et de chicanes. Entre Heractas au Sud et Est et Kherarba au Nord, on en avait pas fini, pour voir, des 1930, une haine plus boostée dans la zone de Oued Charef Ouest, entre, cette fois-ci, Ouled Daoud venus quelques années avant Oujana, et Arch Sedrata.

Ouvrant la parenthèse: un coup de marche arrière et voila qu’en 2017, la zizanie tribale, avec des énergumènes filant du mauvais coton aux élections, retourne à ses années lugubres: fermant la parenthèse

Le centre urbain qui allait être bâti à Ain Kerma, fut transféré au sud d’Oued Souk avec un pont d’entrée appelé autrefois pont des aveugles.

Ici, les colons reçurent des lots ruraux, des lots dans l’agglomération et un lot irrigable de 72 ares, par famille.Il y avait dans la plaine 26 lots de 40 ha et 22 lots de 100 ha. (Ref Senatus Consult)

Sedrata la cosmopolite des Chaouias Issadraten sur lesquels se greffèrent des Ikharouban Segunia comme Azzag et probablement Allab, reconvertis en Ouled El Haj Ali et Ouled Dada Ali (ces derniers reçurent une greffe de Ouled sidi yahia bentaleb), je dis Sedrata est une onomastique amazigh, qui n’a rien à voir avec Essedra la plante (ou le Jujubier Sauvage).

 


Ain Sedra du Essder ou le Jujubier sauvage (Syziphus spins Christi). (Page FB-Benabdesslam)

 

La cité est aussi le foyer natal de certaines personnalités restées bien loin des microphones et des tribunes intello-stellaires de la radio de la capitale Alger.

La ville eut vécu la joie les youyous bien loin, des années 40 quand Si Abdelhamid Lahlou: le fils d’un Oukil, judiciaire Kabyle des Soumam, ouvrit sa pharmacie.

Les gens chantaient « pharmecienne mouslim ! », me confia le défunt Kaddour Bechichi, le libraire fantastique de la ville (rabi Yarhamou). Si Kaddour était exceptionnel, vivant exceptionnel, et après sa mort il y demeurera inégalable. La peine m’était personnellement, immense, lorsque j’ai appris son départ. 

Si Adelhamid aussi, l’Unique « wach man akhlaq wach man nadhafa », aux allures d’une berbérité-Maxyes comme un nordique danois qui remonte allègrement les sentiers du Jutland. On ne peut dissocier Si Lahlou de la bonté de la probité et de la générosité … Toute la droiture que l’Algérie perdit. 

Il n’avait pas changé d’horizon jusqu’à sa mort. Si, dans les années 60, il s’enquérait de la blessure d’une cigogne en accourant à la hâte chez le Docteur Jean Claude Lien, que dire dans les années 80 alors ?

Il continua toujours sa bonne œuvre en achetant, sans fanfares, des provisions pour la Maison de pauvres (Dar Zouaoula)… Inssane Krim me disait mon père, khater mathakaf (car cultivé)…

 


Théâtre Romain de Khemissa-Tacfarinas, l’un des plus grands et des plus conservés d’Algérie

 

Paisible et Belle

Et la beauté de la ville c’est celle de Zineb qui sortait devant sa porte quand vint le printemps, c’est aussi ces pupilles qui désertaient les jupons des mamans, pour aller courir dans les plaines…

Ce fut un temps ou les sacs fourre-tout portés en bandoulières, jupes et pantalons, des lunettes en bleu sévère, une Algérie ravissante et la contrée, à ce moment, avait toute sa splendeur: des petits cubes blancs reposant sur une colline.

Aujourd’hui c’est le mortifère et la tyrannie de l’ignorance. Dilemme convenons en ! Mais qui l’eut cru ?

 


Berzeggane

 

Il y avait à Sedrata un personnage dénommé bizarrement Berzeggane. C’était insolite son cas, comme l’histoire de Sidi M’hamed Lghrab. Berrzegane n’était ni fou ni lucide, presque à mi-chemin, avec un clignement d’une œillade de Raspoutine. Comme s’il descendait d’une génétique acromégalique puisque pas loin du plafond, un haut plafond quoi !

Puissant, il avait des tirs de moaggal (la fronde) d’une précision remarquable. Espiègle et diablotin à la fois, s’il écuma, ça devenait sibyllin. Les gens lui donnaient de l’argent … des fois. Il était pauvre, mais il n’aimait pas les enfants, car on criait derrière lui … Berzeggane talag martou ala Jirane… Rapi yarhamo.

Cette ville de l’Est Algérien était la terre de Tacfarinas avec sa cité militaire de Khemissa (Tubursicu), c’est une région qui vénéra Juba II, elle avait fini par être rattachée, après la révolte du guerrier, à la proconsulaire de Carthage en 27 après JC, par Tibère (Tiberius Claudius Nero).

Elle abritait dans le protohistorique, les gravures du Néolithique inférieur de Oued Nil, et des anciens textes libyques de Saf El Ouidane. Sedrata hérita ainsi, la Numidae des premiers Numides, le people de l’égalitaire: la même portion de fromage du prince au berger. Une vie et un style, gravés dans son oppidum de Tubursicu Numidarum.

Geographiquement, elle marquait aussi la limite de la Numidie à Guadi Aufala (Ksar Sbihi), campement de Massinissa avec Tipaza de Numidie (17 km) dont les remparts sont repérables à Ouled si moussa.

Elle est surtout située à 28 Km de la terre d’Apulée (Apuleius Madaurensis), 50 Km de la ville de Saint Augustin et 38 km de Vegesela (Terre de la Kahina).

 


Ancienne photo : de gauche à droite, le pharmacien Feu Lahlou Abdelhamid et Feu Ouamer-Ali Slimane fils de Si Ali Boulahya et Feu Boubakeur Si Maamar directeur de l’école de garçons.

 

Cela m’emmène à dire qu’il y a beaucoup de noms rattachés à cette ville. Le docteur Jean Claude Lien et sa femme Akila Amrouche sont parmi ceux qui se sont sacrifiés pour faire ses beaux jours.

Leur connaissance avec Kateb Yacine le poète, s’est faite à Sedrata car Claude ou etbib boulahya (le médecin barbu) originaire de Grenoble, comme disent les gens, était le médecin du village dans les années 1960.

Aujourd’hui, la ville se targue d’avoir un grand héritage culturel car la particularité qui la caractérise, à savoir une masse d’acteurs politiques, artistiques et journalistiques, ne correspond nullement à la taille de sa petite communauté urbaine.

 


Feu Majid Bouaggal (Adepte du Malouf)- Feu Allab Brahim Cosignataire en carburant (president de l’USS) et Feu Kaddour Bechichi Libraire: Ami de Yacine et de Jean Claude Lien

 

A l’époque turque, sous le règne de Salah Bey (1771-1782), elle était sortie de l’ombre grâce à Sidi Belghith, puis à la légende de Sidi M’hamed El-Ghrab, l’homme qui, jeté par le Kef Chkara par les soldats du bey, s’est transformé en volatile.

Forgeron, El-Ghrab descend des Haddadi du Mechta Gourzi, douar Meida. Achille Robert, dans un livre en 1900, parle avec passion de la légende dont Sidi M’hamed fut le héros et qui lui a valu le surnom d’El-Ghrab (le corbeau).

Sedrata trace son trajet dans ses combattants comme le commandant Slimane Ouameur et son frère Mostefa. Elle puise son énergie du dramaturge Slimane Ben Aïssa avant le déménagement de la famille à Guelma, sa ferveur du journaliste Mohamed Maarfia et ses écritures et encore son idéal de l’étudiant-martyr Zemzoum Abdelaziz.

Bien que la majorité des acteurs, fût d’expression française, la venue de Tahar Ouettar avec des écrits en arabe, avait donné à la ville une autre dimension culturelle, bien sûr jusqu’au fâcheux commentaire sur Tahar Djaout en 1993. Les lycéens qui vendaient ses livres au moment où les fanatiques les interdisaient, furent désappointés. Tahar Ouettar reste un grand romancier qui refusait l’alienation et défendait l’invention Algérienne d’expression arabophone. Les noces du mulet étaient un bon exemple.

 


Les Ex de l’USS Sedrata avec la légende Youcef Direction et Kadri Souileh. Cette équipe est l’héritière de l’olympique Sedrata fondée par le Chahid Kaddour Haj Hamou 1936 ??

 

Faut-il aussi préciser que Sedrata est une ville de l’Est algérien mais elle était dès l’indépendance, imputable politiquement sur le compte du président Ahmed Ben Bella, qui la visita deux fois, en inaugurant une usine de textile.

Le 19 juin 1965, alors que Kateb Yacine rendit visite à sa sœur Fadela bent Yasmina, l’électricité fut coupée à Sedrata. Yacine, accroché à la radio, devint enragé quand il a su que Tahar Zbiri, lui aussi de la région de Sedrata (Ouled Itzhakde Aïn Snab), était chargé de déloger Ben Bella pour le compte de Boumediene.

Utile de mentionner qu’en juin 1965, Boumediene rentra du Caire et réunit ses compagnons du « clan d’Oujda » que viennent rejoindre les officiers chaouis du « groupe de l’Est » dont (Tahar Zbiri, Saïd Abid, Ahmed Draia, Salah Soufi, Abdelaziz Zeghdani). Tous étaient pour le renversement de Ben Bella. (Benjamin Stora)

Le même Zbiri a du recourir à l’affrontement en 1967 avec Boumediene pour le déloger. Mais ce fut un échec. Il se cacha sous le pont de Daguensouf au sud de Sedrata avant de gagner Tunis.

Fallait-t-il souligner que personne n’a pu faire peur à Boumediene comme Tahar Zbiri l’ex-chef de la wilaya Une puis chef d’Etat Major. l’obligeant à passer des nuits dans une caserne…

 


A gauche Salah Soufi : On savait,le courant ne passait pas avec Boumedeinne, réconciliés après l’indépendance ??? A droite Tahar Zbiri.

 

Yacine Kateb aime traiter Boumediene d’arriviste, meme si sa descendance est Guelmoise aussi: « Ja man tali gal a mali ». Il est venu de la dernière rangée pour réclamer lui aussi le butin.

Boumediene n’a jamais pu emprisonner Yacine, cet ennemi déclaré de l’arabo-baatho-orientalisme. En arrivant à Sedrata en 1965 voir sa famille, il venait de rentrer de France pour rencontrer Ben Bella, à la demande de ce dernier.

Paradoxal comme cela ait pu l’être, ce centre urbain est devenu l’unique région de l’Algérie dont quatre de ses enfants siégèrent au Conseil de la révolution – tenez-vous bien – de Boumediene en 1965 : Abdallah Belhouchet, Tahar Zbiri, Saïd Abid et Salah Soufi, né Bendidi.

La mort du respectable Colonel Abid Said présentée en suicide, ébranla la ville en décembre 1967. On parlait d’un assassinat politique, car rien n’a pu disculper Boumediene comme principal commanditaire.

 


Photo d’une Province: Debout Hachouf, Bechichi. Assis: Khaldi, Telidjane, Bouaggal, Arioua et Boukhrissa de gauche à droite.

 

Et voila qu’en 1975 ce fut encore la mort mystérieuse de Salah Soufi chef de la 3e région militaire. Un véritable accident étrange qui lui coûta la vie, l’homme qui enseigna les techniques du combat à des colonels, tout en restant dans une position de modeste commandant.

Ce fut un jour terrible. La neige bloqua la route de Guelma – Sedrata, Salah soufi demanda à Son chauffeur de se diriger vers Souk-Ahras. Mais à Nador (11 km de Guelma), le chauffeur perdit le contrôle du véhicule pour se trouver au fond de Oued-Sybousse.
La thèse du sectionnement des conduites des freins a été tout le temps évoquée, que dire d’un camion non identifié, lequel ayant accroché la voiture, pour la pousser vers le ravin ?

A l’époque coloniale, la commune mixte a vu la naissance de Roth Roger, maire de Skikda et membre du gouvernement de Fares Abderahmane. Sedrata se rattache aussi à trois grands propriétaires fonciers de l’Est, la Zaouïa Tijania, la famille Azzag et les Haj Hamou des exilés de Meliana.

Pour bien marquer son héritage historique et culturel, Kateb Yacine prit en 1975 une célèbre photo près d’un claveau romain a Khemissa-Tacfarinas portant l’inscription latine EVNVCV, c’est-à-dire l’Eunuque, une pièce de théâtre qui s’est jouée dans ce coin, il y a plus 1.900 ans.

L’auteur de la pièce est Terence l’Africain (Publius Terentius),mort à Carthage en 159 avant Jésus-Christ. C’est lui qui disait: «Je suis homme et tout ce qui est homme ne m’est pas étranger (FIN).

Larbi Zouaimia 


Benzerara lazhar- khemici Abderahmane – Ouamer-Ali Dahmane fils de Belaid (Cuture et Histoire Sedrata)

 

Lire aussi : 

– Il était une fois à Sedrata (I) : Kateb Yacine et les autres
– Il était une fois à Sedrata (II): Yasmina la mère et la terre

 

 

 

 

 

 

 

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *