Accueil > Culture > Il était une fois à Sedrata (I) : Kateb Yacine et les autres… par Larbi Zouaimia

Il était une fois à Sedrata (I) : Kateb Yacine et les autres… par Larbi Zouaimia

La pensée et les oeuvres de Kateb Yacine continuent, allègrement, leur traversée dans les temps. Faut-il souligner qu’il n’y a, jusque-là, que vingt-huit ans qui nous séparent de lui, plutôt qui nous unissent à lui, car cette période n’a jamais été un trou vide: elle est toujours imprégnée par la présence de l’homme et de son succès, surtout par son influence et par les intenses débats qu’avait fait naître l’interprétation de toutes les nuances complexes de son parcours et de son combat.

Rue El Fida, à Sedrata et ses micocouliers 

Aujourd’hui, en parlant de cet homme exceptionnel, je n’ai guère l’intention de disserter sur son travail artistique et littéraire, car je n’ai ni la prétention ni la capacité de le faire, encore moins de redire ce qui a été si bien dit par d’autres. Il s’agit tout simplement de livrer un modeste témoignage, plutôt parler d’une admiration profonde pour l’humanisme d’un écrivain ayant sacrifié toute sa vie au service des plus démunis.

Aujourd’hui encore, si son nom s’impose de nouveau, surtout quand revient le 28 octobre de chaque année, le jour de sa mort à Grenoble (France) en 1989, c’est incontestablement par les enseignements et par les souvenirs qui m’habitent parce qu’il fut pour moi, tout un privilège de le voir pour la première fois, en cette journée de l’année 1973 près du CEG de Sedrata, appelé communément, l’école d’Ait Ouarab Rabah.

Yasmina Kateb bent Loughzali près de la tombe de son fils Belghith

En cette année, je n’avais pas l’âge de Kateb Yacine, car il avait exactement l’âge de mon père alors que moi n’avait que 10 ans passés. Je me rappelle qu’il portait un chapeau de paille enfoui jusqu’aux sourcils et était assis sur le bord du trottoir … La grande figure de la littérature algérienne assis sur le trottoir !?

Si la mémoire ne me trahit pas, ce fut le jour où la ville recevait la Hadika essahira. Ce show pour enfants me plaisait énormément, par des mélodies en vogue, composées par Lamine Bechichi, fils de Cheikh Belgacem, l’autre voisin sédrati de Kateb Yacine.
Impératif de le mentionner : les deux campaient dans deux boutiques politiquement très distantes … Je vis donc Kateb Yacine cet après-midi, parmi ceux qui le respectaient, loin de l’archaïsme ambiant d’une egyptianisation latente qui nous ruinait.

Sa voix coléreuse et le geste saccadé de sa main animèrent le coin, alors qu’il discutait avec deux autres personnes. L’un d’eux était un prof très connu en ville. On l’appelait Si Amar Tlili (décédé en 1998). Cet enseignant était, incontestablement, champion des documents épigraphiques romains et défenseur infatigable du site archéologique de Khemissa Takfarinas (Thubursicu Numidarum), à 11 km au nord de Sedrata.

Si Amar m’envoya des fois, chez Kaddour Bechichi, l’unique libraire de la cité, pour acheter El Moudjahid. A l’âge de 10 ans, j’avais une idée sur si Amar, mais aucune sur ce que pouvait être cet homme en bleu de chauffe.


Le billet de cinq dinars

Je passais tranquillement devant le groupe en exhibant la feuille de classement scolaire. C’était le jour de la remise des bulletins de l’école, un dépliant bleu sur lequel fut insérée majestueusement la signature de feu Si Maâmar Boubakeur, directeur de l’école de garçons, actuellement école Abid Saïd.

Et quelle signature ! On revoit point ce genre d’émargement par les temps qui courent. En tout cas, elle était devenue pour moi une source d’inspiration artistique -si le mot s’y prête- car elle appartenait à un homme pétri dans l’enseignement et ayant grimpé, grâce à son caractère, dans l’estime collectif.

On disait que la bagarre à Sedrata,dans ces années là, fut confinée dans l’instruction. Entre Si Maamar Boubekeur, directeur de l’École de garçons et Jedri Abdelaziz, directeur de l’école mixte, la matrice de l’honneur se définissait, chaque année, à la 6e.

Et Jedri Abdelaziz gagna une fois le score … Déluge, si Boubekeur se taillada en solo. Et si, si Boubekeur gardait le nom de Jedri dans le cahier de roulement, pour lui attester par antériorité, Jedri se targuait d’avoir rabattu le caquet en mathématiques, à tous les Rouama de Constantine … Amazing ! A Sedrata, il y avait ce ceteris paribus sic stantibus qui caractérisait le dynamisme de l’École et des encadreurs.

L’une des plus vieilles photos du Constantinois. Le colonialisme et la misère à Sedrata en 1870

Et ce n’était pas le « Just Because » pour Jedri, mais c’était loin d’une image d’Épinal, quand son père traversait, en fiacre, les plaines de Zouabi, Tamlouka et Ain Abid pour l’approvisionner en Kessera, au Lycée de Constantine … Oui ! c’était la Kessra contre le colonialisme.

Mathélème que je fus … très jeune que je le conçus, avant l’accident de la vie, j’ai vu par la suite les griffes de l’ignorance déchirer les corps de ces idoles, alors que Platon criait depuis longtemps : celui qui ne connaît pas la géométrie n’entre pas ici … Allah Yarhamhoum ala ayati hal … je leurs livre mon cœur et la postérité.

Et Yacine me demanda de s’approcher. En vérité, j’en avais l’intention déjà, pour que Si Amar me voit et me demande encore un mini-marathon vers l’office de ammi Kaddour. Apporter le journal à M. Tlili c’est comme accomplir une tâche patriotique, mais, cette fois-ci, c’est la silhouette assise sur le bord du trottoir qui se leva et prit mon bulletin.

Des yeux brillants et un visage austère me happèrent, au point où j’ai failli trébucher et oublier l’effet de l’imposante signature, car je voulais bien situer dans la hiérarchie sociale, cet homme au chapeau de paille, par rapport au directeur de l’école de garçons de Sedrata.

Mais lorsqu’il vit mes notes sa voix tendre m’enveloppa. Il voulait connaître le nom de l’instituteur de français, et c’est Amar Tlili qui répondit en nommant Mellal Mohamed, l’éducateur auquel on fait référence lorsqu’on évoque les classe de CM1 et CM2. Yacine semblait savoir qui est-ce …

MELLAL MOHAMED rabi yarhamou

Mohamed Mellal l’instituteur, était pour nous l’autorité absolue. Bien que j’accomplissais l’arrivée en tête, il me giflait à la moindre inadvertance. Aucun crédit, aucune faveur meme si Yasmina rabi yarhamha sa femme, portait mon nom.

Nous étions pris en tenaille du sérieux. Mellal administrait par son prestige moral le centre urbain en savoir, à partir de l’instruction de base, et Salah Marass surveillait les champs de blé si on s’amuse à y faire une escapade en herbivores, à la recherche de la Horaicha.

Mais Mellal était vraiment unique. Il ne gérait pas pas la classe uniquement, mais tout le boulevard de l’indépendance. Les éleves croupissaient à coté du mur de l’école pour étudier, comme si on s’apprêtait à déclencher une guerre imminente. Je vous parle de l’école élémentaire de Sedrata comme celle de Flushing New York que je vois… On creusait ici pour préparer le citoyen utile..

Il y avait, à ce moment-là, deux sœurs de Yacine qui pratiquaient dans l’enseignement. La première vit toujours au sud de Sedrata. Au début de 1990, elle a voulu rendre hommage à son frère, quatre ans après sa mort, en participant à l’organisation d’une petite rencontre à laquelle personne n’est venue

Ce fut la mode des régiments d’abrutis qui répandaient l’inculture à la pelle, au moment où Nejma el Kebloutia se faisait transporter par Jane Hidellson vers Harvard… Ih ya dania, Who would have thought? La seconde sœur aurait déménagé depuis longtemps vers l’Algérois.

Ils ont pris cette photo à Sedrata en plein asservissement colonial (Amour en haillon)

Bref, Kateb Yacine mit sa main dans sa poche et fit sortir comme un magicien un billet de cinq dinars (les seuls qu’il avait) au moment où un autre élève se tenait derrière moi. Probablement, devrais-je les partager en friandises chez ammi Salah Boujellal, me disais-je ?

« C’est exactement ça », répondit Yacine. Un premier exercice du socialisme scientifique en somme.Tony Blair recommandait d’en connaître sans y rester longtemps… C’est fait.. Je Voyage entre la Caroline et Ottawa à l’inverse du socialisme, mais j’aime ma ville, ses tranches de vie, Yacine et tous les habitants, s’apitoyant encore sur le sort d’une gent féminine broyée.

La récompense me réjouissait énormément alors que, sur mon dos, il y avait encore le tatouage de l’égoïsme d’un enfant qui voulait avoir les cinq dinars pour lui tout seul car je n’ai jamais eu plus qu’un dinar que mon père me donnait en attirant l’attention de toute la rue d’El Fida.

A l’époque de Boumediene, ce billet portait un décor sur lequel il y avait Loughat al Khachab (langue de bois). Comme si le pays était en crise et on veillait coûte que coûte à le coller à l’Egypte. On ne savait même pas transcrire correctement sur les billets de banque nos symboles fondateurs et représentatifs, comme disent les Américains.

En somme, Yacine n’aimait pas Boumediene non pas à cause des billets de banque, mais à cause de son coup d’Etat de 1965. Je pense qu’il gardait un penchant pour Ben Bella, celui qui visita deux fois Sedrata, dont une où il était accompagné d’Ernesto Che Guevara. Kateb Yacine parlait souvent d’une autre personne, le docteur Khemisti, celui qui avait refusé la venue de 25.000 Égyptiens pour encadrer l’enseignement.


Les Kebaltyia ou Beni Ghmat

Ma joie était à son paroxysme lorsque mon grand-père m’informa par la suite que nous venons du douar des parents de Kateb Yacine, le lieu que je n’ai jamais cessé d’aimer : Sfahli, la terre de Nedjma, actuellement dans la commune de Hammam N’bails (Guelma), et que nous avons des cousins dont les oncles maternels ou tantes paternelles sont des Kateb et des Kadi Kebaltiya, tribu à laquelle appartenait Yacine.

L’histoire avec Sedrata aurait commencé en 1899 suite une déportation vers Barika. Mais les événements douloureux auraient éclatés lorsque la France occupa Annaba et mis 6 années de préparations pour chercher des alliances tribales afin de casser Ouled Daan Ighmourassen, propriétaires de la ville actuelle de Guelma et une partie de ses plaines, alors que Beni Foughal venus des Babors travaillaient les terres beylicales de Seybouse.

Le général Regny disait dans un discours de mobilisation en novembre 1936 à Ain El Berda, « Nous allons à Guelma mettre fin au règne d ‘Ouled Daan et autres kabyles, gens barbares qui ont ruiné le pays » (Source: Journal de Toulouse). Cette tribu avait une tête de richissimes jusqu’a Mjez Amar et une queue de pauvres éleveurs dans les montagnes de la Sefia une distance de 28 km vers le sud-est..

C’est dans la Sefia que les Kebaltia ont vécu. Exactement à Ain Ghrour. En Berbère Ghrour ou Aghrour veut dire Camp … La source du Camp.

(A suivre)

__
source : lien 

4 comments

  1. Comme toujours,tous tes coups d’essai sont des coups de maître.
    Bravo pour avoir immortaliser certaines figures sedratiennes grâce à notre cher
    regretté Kateb Yacine qui reste une icône pour nous tous Sedratiens .

  2. vous avez d’autres hommes de cultures natifs de Sedrata comme Tahar Ouettar ( Romancier) Yazid Oulab et Ahmed Salah Bara ( peintres)

  3. Bel essai. Je suis impatient de lire la suite.
    Je pense qu’il serait juste de changer l’expression « et les autres » du titre et mettre « et Larbi Zouaimia » à la place.
    Bravo.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *